Appartement de Rudy

[Rudy]

Xander faisait sa petite vie tranquille, ce qui laissait le temps à Rudy de se remettre de ce qu'il venait de faire. Ca le touchait plus qu'il n'aurait voulu l'admettre. De plus, avoir la présence d'une autre personne chez lui, qui n'est pas Ledger, mais qui occupe les mêmes espaces, avait quelque chose de réconfortant. Certes, ils se ressemblaient. Mais Xander laissait sa trace, ou du moins, effaçait celles de Ledger. En tout cas, il ne pu réfréner une grimace avec l'odeur de la cigarette. Et dire qu'il baignait là-dedans auparavant, lui aussi... Maintenant, la simple mention le dégoûtait. Après tout, on choisit tous un poison qu'on laisse nous tuer.

D'un autre côté, il ne voulait pas non plus le laisser complétement seul. En baignant dans le silence, Rudy récupéra les feuilles qui l'intéressait sur ses genoux et s'asseyait sur le canapé de façon à ne pas tourner le dos à Xander, posant un bras sur le dossier. Et puis, comme ça, il pouvait lui jeter quelques petits coups d'oeil de tant à autre, ce qui n'était pas si mal. Disons qu'il profitait que Xander n'ait pas remis ses lunettes pour examiner son visage. S'il pouvait le trouver attractif, Rudy avait définitivement un type bien précis. Cette pensée lui arracha un sourire, qu'il préféra cacher contre son bras.

[Xander]

Les néons des pubs baignent l'appartement dans une ambiance particulière : le violet. Celui trop pétillant pour être une couleur naturelle, au contraire tout était synthétique et retravaillé pour plaire. Ça perd de sa valeur, à force.

Je prenais particulièrement soin à ce que la fumée soit à l'extérieur et non pas à l'intérieur, par respect. Je n'étais pas chez moi, je ne peux pas me permettre de faire comme si. Même chez moi l'odeur de cigarette était quasiment inexistante, je fais tout pour du moins. Quand je ne fumais pas, je coinçais la cigarette entre mes doigts d'une main, tenait la tasse de café de l'autre pour siroter.

Ça me permettait d'avoir un meilleur ensemble sur ce que Rudy pouvait bien faire, aussi. Il me regardait, ce n'est pas la première fois que je le prends sur le fait. Je n'en pensais pas grand chose ceci dit : c'est normal d'être regardé par les gens. Ensuite, laisser ou non ces regards nous atteindre c'est une autre histoire. Pour le cas de Rudy, le pauvre garçon se trouve dans un entre-milieu.

“- Tu ne t'arrêtes donc jamais.” soufflais-je, amusé

Pas de repos pour les braves, j'imagine. Je suis si mal placé pour parler, je pouvais passer des jours à dormir à la clinique pour terminer mon travail. C'est un trait que je reconnais chez moi aussi. Je me rappelle d'une fois où je lui ai demandé de passer à la clinique quand il aurait le temps, il devait être...Trois heures du matin, quelque chose dans ces eaux là. Dans les dix minutes qui ont suivis le message le policier était au seuil de la porte. 

[Rudy]

Rudy connaissait le dossier qu'il relisait par coeur, entre ce que les autres avaient rédigé et ce qu'il avait rédigé, et rassemblé... Mais ça ne menait à rien, jamais à rien, et Rudy était toujours laissé dans le flou. La JLPD souffrait plus que tout d'elle-même et de l'image que les médias faisaient d'elles, ce que les films faisaient d'elles. Dans la majorité des cas, personne n'est retrouvé, les plaintes ne mènent nulle part, ou les victimes se retrouvent à devoir payer leur bourreaux. C'était crevant et déprimant. Un miracle que Rudy n'ait réellement pas chuté comme Ledger l'avait fait, ou qu'il n'ait pas démissionné comme Niffelheim. Surtout quand ce n'était pas des amis qu'il avait pour collègues, ce qui pouvait s'avérer plus que dangereux sur le terrain. Il soupira silencieusement contre sa main, avant de revenir poser les yeux sur Xander, qui semblait beaucoup plus paisible. C'était une jolie image, que de l'avoir ici. A force, Rudy regardait plus dans le vide qu'autre chose, jusqu'à ce que Xander le ramène à la réalité. Il le questionna d'abord des yeux, avant de lever les papiers qu'il tenait.

" - Tu parles de ça ?"

S'il parlait du boulot, alors, oui Rudy n'arrêtait jamais. S'il ne pouvait pas dormir, et qu'il ne trouvait pas grand chose de plaisant à faire des activités seul, si ce n'est resté seul, alors il noyait tout le semblant d'humanité qu'il pouvait, rationnalisait toutes les informations qu'il lisait sur des bouts de feuilles, et établissait des centaines d'hypothèses par jour. Il y avait des gens, à l'autre bout des prénoms, des adresses, des photos qu'il voyait dans toutes ces feuilles, qui méritaient que justice soit faite. Du moins, quand il arrivait à faire quelque chose de productif...

[Xander] 

Allô, la Terre à Rudy vous me recevez ? Derrière ma tasse je souriais doucement, amusé. Qu'est-ce qu'il peut bien se passer dans sa petite tête ? Je ne suis pas sûr de vouloir savoir. C'est une capacité que beaucoup d'hommes convoitent que de pouvoir connaître les pensées de son semblable. À quoi bon ? C'est plus intéressant de faire avec ce que la personne laisse paraître d'elle, que de fouiller dans les moindres recoins de son cerveau jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à découvrir. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à cacher.

Pour toute réponse j'ai fredonné légèrement, en acquisition à ce que Rudy venait d'avancer. Je ne le critique aucunement, pas quand moi je fais pareil. Savoir qu'il se tue à la tâche de son travail c'est une chose. En revanche le voir être entouré d'une pile de papiers, plongé dans un flux d'informations qui n'en finit pas, avec ce regard à tout épreuve c'est une autre histoire. Je ferais mieux de ne pas le déranger, s'il travaille. 

[Rudy]

Il se reconcentra un instant sur son travail, suite à la question de Xander. Une petite voix lui disait que ça ne servait à rien de tourner, et retourner les papiers dans tous les sens. Les mots n'allaient pas changer de place ou de sens, et il n'allait pas se mettre à halluciner pour avoir l'épiphanie de sa vie. Ce qui serait relativement dommage, au fond.

Et puis, à force, il ne pouvait plus voir grand chose, à moins de se rapprocher de la fenêtre. Les panneaux publicitaires agissaient comme lumière douce, sauf qu'il était difficile de faire quoique ce soit de précis à l'heure qu'il est. Tout lui montrait que rien ne servait de se faire des noeuds au cerveau pour le moment, alors il reposa la feuille sur la table, prit connaissance de l'heure sur son téléphone, avant de venir croiser les bras sur le dossier du canapé, en observant à travers la fenêtre. C'était si chaotique à l'extérieur, loin d'être gentil, mais pour le moment il pouvait profiter de tout le calme et le temps du monde, et le faire en compagnie de Xander, ce qui en soit ne tenait pas de la chance mais du miracle. Il savait qu'il devait le tenir à distance de Ledger, d'une manière ou d'une autre. Ce dernier s'était montré assez rapide et intelligent pour toujours avoir un point d'avance. Il ne pouvait pas le laisser prendre Xander ou ce sera la goutte de trop.

[Xander]

Très bien, je sais ce que c'est d'être tant concentré sur son travail qu'on fait abstraction de tout ce qu'il se passe autour. Je n'aimerais pas qu'on fasse pareil pendant que je suis sur le dossier de mes patients, alors je me suis contenté de poser la tasse de café vide sur ma table avoisinante, loin de ses dossiers de préférence. 

Ainsi je pouvais profiter à poumons plus ouvert de ma cigarette, mais aussi de la touche d'air frais que l'extérieur peut me proposer. J'aimais bien me dire que je vivais dans un film dans ces moments-là, ça rendait l'action déjà un peu plus intéressante en soit. Sans oublier que c'était calme, si ce n'est le son des grésillement des panneaux publicitaires usés. Pour ma part j'ai toujours trouvé que les choses désuètes et faites à l'ancienne avaient leur charme,  le fait d'avoir grandi dans un bâtiment à l'abandon avec des gens aux goûts démodés n'y ait probablement pas pour rien. Un petit sourire s'est fendu sur mes lèvres à cette pensée. 

En tapotant le bout de clope pour laisser les cendres s'éparpiller dans la rue plus bas, Rudy a entre temps abandonné toute tentative de travail. Oui, et bien, chacun ses limites hein. De toute façon je ne vais pas tarder, je n'ai pas envie de le déranger plus longtemps que nécessaire.

[Rudy]

S'il pouvait, il s'endormirait là maintenant. Même si sa confiance avait ses limites, il n'était pas parano au point de croire que Xander allait s'attaquer à lui. Ce n'était tout simplement pas un problème de confiance, mais plutôt un problème de santé à ce niveau là. Sauf que son canapé était confortable, la brise légère qui apportait un peu de frais dans son appartement toujours fermé sur l'extérieur, et juste Xander.

De la fenêtre il se mit simplement à le contempler, pensif. Ce n'était pas du tout la manière dont il avait pensé passé sa journée, il n'avait pas non plus pensé pouvoir en parler à quelqu'un.

" - Ca te fait peur ?"

Rudy avait déjà été étiqueté comme "terrorisé". Il ne l'était pas réellement de Ledger, mais ce n'était pas la question. Est-ce que Xander savait seulement la situation dans laquelle il se mettait ? Rudy savait pertinemment que Ledger allait plongé davantage dans leurs affaires, jusqu'à avoir ce qu'il voulait. Sauf que voilà, Rudy ne savait pas ce qu'il voulait, si ce n'est avoir Xander dans son collimateur pour l'instant.

[Xander]

“- Hm ?” 

Tenant gracieusement la cigarette entre mon majeur et mon index, mon coude était posé sur la rambarde afin d'éviter que les cendres ne finissent dans son appartement à lui. Je le questionnais du regard, essayais de voir à quoi le policier pouvait bien faire allusion par avoir peur. Bonhomme, il y a un paquet de trucs dont j'ai peur, il va falloir que tu sois plus précis.

J'ai réfléchi de mon côté à ce qu'il voulait bien sous-entendre, et la cicatrice sur ma main est le détail qui m'a soufflé la réponse. Je suis resté silencieux un certain moment. Est-ce que j'ai peur ? 

“- Évidemment que oui.” 

Mentir n'était pas une option mais je regrette d'avoir choisi l'honnêteté brutale plutôt que d'avoir adouci la chose. Dans les terribles événements de la vie de Rudy, il y a une dimension qui me terrifie : c'est quelqu'un de proche qui lui a infligé ça. Ce qui est arrivé à Ledger pourrait arriver à n'importe qui avec une facilité accablante. À Rudy, à moi. Voilà ce qui me fait peur.

“- Je ne veux pas revivre ce qu'il s'est passé avec Inaya.” dis-je, comme un fin murmur

À la mention de son nom, j'ai baissé les yeux en direction de la rue. C'était encore récent. Et de ma faute, ce qui est indéniable. J'étais aussi intelligent que je peux être un idiot des fois. Je réfléchissais peut-être trop avec mon coeur, aussi. J'ai noyé mes pensées dans le bout de la cigarette. 

“- Mais je te l'ai déjà dit, je... Je m'inquiète pour toi. Et ça j'y peux rien.”

Je n'ai pas envie qu'il t'arrive quelque chose, pourquoi c'est si difficile à comprendre ?

[Rudy]

Rudy n'aurait pas espéré une réponse aussi honnête, mais ce n'était pas une mauvaise chose en soit. Il ne faisait que se cacher davantage derrière ses bras, priant pour que ce ne soit pas trop de sa faute. Dans les faits, ça l'était. Mais c'était toujours épouvantable de se dire que l'on a un rôle à jouer dans le malheur des autres. Et Ledger était loin d'être un simple petit malheur.

La mention d'Inaya n'était rien de plus que le fait de remuer le couteau dans la plaie. Il tourna les yeux ailleurs, complètement défait et déprimé. Elle n'était pas la seule, dans ce cas là. Niffelheim, avait écopé parce qu'il avait voulu l'aider. Il y avait eu cette journaliste aussi, qui espérait faire une différence. Ils espèrent tous faire une différence. C'était peut-être pour cette même raison que Xander semblait s'inquiéter autant pour Rudy. Peut-être que le fait qu'il ressemble autant à un chien battu et esseulé forçait la pitié des gens et ils se ruaient sur lui dans l'espoir de sauver le peu qui lui reste. Ledger s'occupait toujours d'eux. Rudy ne récupérait que les pots cassés, mais ils ne s'étaient pas vu face à face depuis un moment. Etait-il réellement en danger, lui-même ? Il enfonça définitivement la tête dans ses bras, se soumettant complétement.

" - Je m'inquiète aussi pour toi." souffla-t-il

[Xander] 

Parler de tout ça mets Rudy dans une position délicate. Oui, mais il a mentionné le sujet en premier... Ça rend pas le sujet plus facile pour autant. Les conséquences derrière sont trop importantes pour être un sujet simple, facile.

Quand il avoua qu'il s'inquiétait pour moi, je me tournais vers lui. Son visage est caché par ses propres bras. Tout ça a des répercussions sur Rudy plus grave encore que n'importe qui d'autre. Imaginez-vous vous sentir responsable de la mort de chaque victime de Ledger. Je retire ce que j'ai dit tout à l'heure, j'aimerais bien savoir ce à quoi il pense dans l'immédiat.

 J'ai regardé le ciel, les poussières d'étoiles qui commencent à se voir. Ma fumée qui s'évapore dans l'espace. 

“- Tu sais je ne suis pas magicien, malheureusement je n'ai pas de solutions miracle pour tes problèmes.”

Combien même j'aiderai Rudy avec plaisir s'il me demandait assistance, je ne peux pas dire que ma présence changera quoique ce soit à sa situation, et de toute façon ce n'est pas le but recherché. Je ne suis pas ici pour essayer de le réparer, il s'agit d'un travail qu'il ne peut qu'accomplir que de lui-même.

“- Mais j'en ai une pour au moins un.” 

Je fis voler le reste des cendres dehors, bientôt, il ne restera que le mégot. Toujours à la fenêtre, je me tournaid pas vers Rudy attentivement, désignant sa veste de l'index.

“- Je sais coudre. Et faire des points de sutures.” 

Et je sais écouter, Rudy. Je ne suis pas psy, mais je sais écouter. 

“- Si je peux te rendre service j'essaierai toujours de le faire. Je ne suis pas ton ennemi.”