Appartement de Xander

[Xander]

“-Tu ne me fais pas confiance ?”

...Ah.

Comme rupture nette, le moment où j'avais cru bon de dire ça était celui où je coupais un peu du fil chirurgical avec un ciseau. Le bruit des ciseaux qui s'entrechoquent entre eux -qu'à un autre moment je n'aurais même pas entendu, m'avait paru résonner dans toute la pièce. J'ai doucement grimacé en mordillant ma lèvre de frustration.  J'étais en train de m'insulter de tous les noms dans ma tête pour ne pas avoir réfléchi cent fois avant de parler.

Ça aurait été une question anodine dans n'importe quelle autre situation que celle dans laquelle Rudy et moi nous étions. En fait, je n'aurais pu poser pire question que celle-ci maintenant. Non, je ne crois pas que Rudy me fasse confiance. C'est une réalité que je pouvais accepter de pratiquement tout le monde, mais pour le coup je n'avais pas besoin de l'entendre me dire ça. Alors j'ai voulu étouffer l'affaire dans l'oeuf.

“-... Désolé.” dis-je à voix basse 

Désolé d'avoir demandé. Je récupérais rapidement chacun de mes mouvements, n'osant même pas regarder le policier dans les yeux. J'étais très concentré sur mon aiguille et mon fil, déjà dans le trou. C'était un geste si systématique pour moi que je ne me suis même pas rendu compte le faire.

[Rudy]

Rudy n'était pas devin, ni psychologue, mais l'ambiance avait pris une lourdeur insupportable. Rudy se sentait extrêmement mal à l'aise. Est-ce que c'était des reproches ? Il haussait un sourcil et fronçait l'autre, en dévisageant Xander sans le vouloir. Xander n'avait pas le droit de lui en vouloir. Sa confiance avait été suffisamment malmenée pour rester sceller. Ca ne voulait pas dire que Rudy ne pouvait pas coopérer de temps en temps, c'est juste qu'il avait un besoin de tout contrôler, de tout voir et de tout savoir, pour régler les choses à sa manière. On est jamais mieux servi que par soi-même, c'était la dure réalité. Est-ce qu'une seule des personnes en qu'il avait confiance aujourd'hui étaient vivantes, ou saines d'esprit ?

Il ne pouvait s'empêcher de garder un oeil sur l'aiguille, et le fil, et le ciseau. En bref, tout ce qui allait potentiellement lui faire mal. Il resserrait ses mains sur ses bras, agitant toujours sa jambe de haut en bas frénétiquement. Oui, Xander était mignon mais Rudy avait aussi une forte envie de le secouer, parfois.

" - Ca veut pas dire que je te déteste." lança-t-il, un peu vexé

Si Xander prenait tout pour lui, ou comme une attaque, Rudy ne pouvait rien pour lui. Il serait bien le dernier à lancer des insultes à la va-vite, pour tout et pour rien. S'il avait un problème avec quelqu'un, il préférait le dire en face, de toute façon avec son physique les gens ne marchaient pas tant que ça sur ses limites. Alors, pour la confiance, Xander n'était pas encore à ce niveau là, certes. Mais Rudy avait fait sauté son verrou pour une raison, et ce n'était pas le fait de revoir Ledger.

" - Maintenant, si t'es en colère, je préfère une gifle que les sutures à vif."

[Xander]

Mon Dieu, ce que je pouvais manquer de tact parfois. L'aiguille entre les doigts, je remontais enfin les yeux vers Rudy. 

“-Je ne suis pas en colère.”

Enfin, plus maintenant. Je n'étais même pas vraiment sûr d'être en colère contre Rudy en premier lieu. La situation m'avait mis en colère avant tout le reste. Et même, la colère n'était pas une bonne façon de dire les choses.

“-Je m'inquiète pour toi.” 

Bien que je n'aime pas mettre des mots sur mes ressentis quelconque, il fallait bien que je lui fasse comprendre ça. Ma colère, c'est ce qui ressort pour ne pas montrer que je ne suis inquiet. Tant pis s'il ne voulait pas le comprendre, ni même me croire. Je comprenais que je ne pouvais pas rester près de lui s'il ne me fait pas confiance, parce que moi-même c'est une chose que j'ai beaucoup de mal à accorder. Enfin bon. 

L'aiguille entre mon index et mon pouce, je me tournais face à lui, prêt à faire ces points qu'il le veuille ou non. 

“-Je ne vais crever ton oeil, je sais ce que je fais.” 

S'il ne peut pas me faire confiance sur tous les autres plans, qu'il me fasse au moins confiance sur celui-là. Je suis un bon médecin à 95% du temps.

[Rudy]

Rudy tâchait de ne plus se montrer si émotif physiquement parlant. Ses yeux et ses traits du visage avaient tendance à parler pour lui plus de fois qu'il ne le voudrait. Xander semblait réellement sérieux, et Rudy ne pouvait tout simplement pas faire de geste brusque actuellement. Il tâchait juste de fermer les yeux, soufflant doucement toute son anxiété.

L'inquiétude était quelque chose qui le perturbait, là encore. Ce n'était pas comme si Rudy était en sucre, il avait vécu pire. Ca ne voulait pas dire qu'il ne souffrait plus, les points de sutures que Xander s'apprêtaient à faire n'allaient pas lui plaire. Il n'était plus à ça près, voilà tout.

" - Tu me fais confiance, toi ?"

Rudy avait déjà vécu une trahison par le passé, et celle qui laisse des traces aussi physiques que mentales, et qui avaient été particulièrement éprouvantes. Bien sûr, il ne ferait jamais courir un tel risque à Xander. Mais est-ce que le garçon était prêt, lui, à s'exposer à une telle force brute les yeux fermés ? Impossible. Rudy ne faisait pas plus confiance aux gens que les gens en question pouvaient compter sur lui.

(Je vais dodo, bonne nuit !)

[Xander]

Je ne sais pas de quoi il avait le plus peur : de l'aiguille ou du fait d'anticiper la douleur ? La peur des aiguilles est en soit assez commune, mais la peur engendrait la peur qui finissait par engendrer la panique. Et la panique, ce n'est jamais bon.

Je me suis légèrement penché vers Rudy afin d'être plus à l'aise dans ma démarche, le bout de l'aiguille proche du démarquage de la plaie. Avec toute la précision d'un chirurgien, j'ai commencé à doucement enfoncer l'aiguille sous la peau ouverte. Je suis particulièrement doué pour ce qui est de toucher le moins de points nerveux sensibles, à l'inverse ça veut aussi dire que si je voulais vraiment faire mal à quelqu'un, je sais comment m'y prendre. Rudy n'est pas concerné aujourd'hui.

Le fait qu'il se mette à parler est une bonne chose, puisque ça l'empêchera de trop se focaliser sur ce qu'il se passe là-haut. Mais de toutes les questions, il a fallu qu'il pose celle-là. La question de la confiance. 

“-Petit à petit.”  

Ce n'était jamais trop bon de donner sa confiance trop rapidement, tout compte fait. C'était quelque chose qui se fait sur le long terme, les actions et les mots ont tous deux un rôle à jouer dedans. Peut-être que Rudy l'avait fait trop rapidement, s'il y avait un tant soit peu de confiance, en me proposant de venir avec lui au hangar. En même temps personne n'aurait pu prédire que la situation tournerait au vinaigre. Et moi je n'y suis vraiment pour rien.

“-C'est pas comme si t'avais fait sauté le verrou de ma porte en me pensant en danger.”

Mhm, oui. C'était difficile de ne pas donner un minimum de légitimité à l'autre après ça. 

“-Merci.” dis-je un peu plus doucement

(Oki ! Bonne nuit !)

[Rudy]

Même s'il essayait de paraître le plus impassible possible, Rudy ne pouvait s'empêcher de grimacer. Sa première réaction avait été de monté ses mains à son visage, comme pour attraper les mains de Xander. Il ne les touchait pas, serrait ses doigts dans sa paume. Ce n'était certainement pas le moment de faire peur à Xander ou de lui faire faire un geste brusque. Peu importe, on ne peut pas s'habituer à la douleur.

Que pouvait-il répondre à ça ? L'homme n'était pas du genre à envoyer les gens bouler pour rien. Certains faisaient des commentaires sarcastiques, d'autres se jetaient sur tous les compliments et remerciement qu'ils pouvaient avec avidité, Rudy n'était ni l'un ni l'autre. En fait, il commençait à regretter d'être venu. Ce n'était pas une façon gentille de s'occuper de lui.

" - Une compresse ça aurait largement suffit..."

[Xander]

La concentration était à son maximum, de tel que je ne répondais pas à sa remarque. Il y a tout un cheminement à suivre, une façon précise de faire les points de sutures (jargon médical que je vous épargnerai), et surtout, si je ne voulais pas faire mal à Rudy au delà de ce que je ne peux pas lui éviter, il faut que je sois attentif à mon travail.
Au fur et à mesure que le fil se glissait entre les tissus de peau, qu'il fallait un peu reserrer pour être sûr que ça tienne, je prenais finalement compte de l'absurdité de la situation. Je suis en train de soigner quelque chose que mon père a provoqué sur un homme qui ne me faisait pas plus confiance que ça, ce que malgré ma remarque précédente je comprends. Et pourtant ce même homme avait cru bon de détruire ma porte vous venir me sauver. Nous les Hommes sont trop complexes pour nous-même.

À la fin je venais couper le fil restant, scellant mon travail. Rudy ne s'était pas trop plaint de la douleur, de toute façon je le vois mal surréagir pour si peu. À la clinique j'aurais pu lui épargner toute douleur grâce à de l'anesthésiant, mais ici  je n'ai pas plus que le strict minimum de médecin, ce qui est déjà plus que le strict minimum de base.

“-Tes deux yeux sont toujours là.” annoncais-je, pour lui faire comprendre que j'en avais fini.

[Rudy]

Ce qui lui avait semblé être une éternité n'avait duré que quelques minutes. Il faut dire que la plaie n'était pas si impressionnante que ça, lavée de tout sang. Elle est profonde, voilà tout. Un petit pansement, ou du scotch, aurait suffit à tenir la plaie fermée. Mais c'était terminé maintenant.

Tout ce qu'il avait envie de faire, c'était de passer ses mains dessus. Il se retenait de le faire, bien entendu, mais il mourrait d'envie de s'approprier la douleur et de passer à autre chose.

" - Encore heureux."

Certaines personnes pouvaient vivre avec un handicap, Rudy en avait une peur bleue. Devenir sourd, ou aveugle serait un challenge qu'il n'arriverait probablement pas à relever.

Maintenant que Xander en avait fini avec lui - avec ce qu'il voyait, surtout - qu'allait-il se passer ? Les deux hommes ne pouvaient pas continuer à se regarder dans le blanc des yeux. Rudy avait encore du travail à finir, si on pouvait appeler ça un travail. En réalité, tout ce qu'il voulait était d'enfoncer sa tête dans un coussin et de dormir suffisamment longtemps pour oublier toute cette histoire.

[Xander] 

En dernière précaution, j'avais changé son pansement. Avec un peu de chance ça ne laissera pas de cicatrice, j'espérais. Je ne suis peut-être pas responsable des actes de Connor mais ça ne m'empêche pas de me sentir coupable vis-à-vis de ce qu'il a fait à Rudy. 

“-Tu gardes les points pendant dix jours, après quoi il faut que tu les enlèves. Et n'essaie pas de faire ça tout seul, tu risques d'empirer ton cas.” 

Il pouvait toujours aller voir un autre médecin, mais ne l'ayant déjà pas fait une première fois, ça m'étonnerait qu'il le fasse maintenant. Enfin, ce n'est pas comme si je lui laissais le choix. Que ce soit moi ou un autre, c'est toujours plus prudent que de le faire lui-même. 

Maintenant que je n'ai plus à m'occuper de sa plaie, je m'écartais de lui et commençais à ranger au moins le matériel dont je n'aurais plus besoin. : les ciseaux, le fil...

“-Est-ce que tu as mal autrepart ?”

En réalité, pour ce qui était des bleus il n'y a pas grand chose à faire, si ce n'est qu'attendre : de la glace à mettre régulièrement contre les ecchymoses, du repos aussi... Mais tant qu'à faire, autant m'occuper du reste.

[Rudy]

Rudy fronçait les sourcils, d'abord par réponse à ce que lui ordonnait Xander, et puis pour tester les point de sutures. C'était désagréable, mais relativement supportable.

" - Vous avez une manie de toujours rouvrir les plaies jusqu'à ce qu'elles vous plaisent, c'est délirant." souffla-t-il

Xander, Ledger, Niffelheim, sa mère ou sa figure paternelle, étaient tous les mêmes. Tant que les cicatrices restent il avait toujours fallut mettre les mains dedans, tout chambouler et les reconstruire. Rudy pensait n'avoir jamais apprécié les gens qui s'amusent à faire de lui un patchwork, mais il faut croire qu'il avait tord.

" - Non, tout va bien."

Connor l'avait amoché au visage, pour le reste c'était une autre affaire. Les bleus qui parcourent son torse, sa douleur à l'abdomen qui l'avait empêché d'avaler quoique ce soit quelques temps, et puis, peut-être un peu dans son égo de ne pas avoir réussi à le garder au sol suffisamment longtemps ou de l'avoir laissé détruire un objet auquel il tenait autant. Rien que Xander ne pouvait réparer, ou du moins...

" - Fais la même chose avec ma veste."